Yohanan Elihaï : "Tendre l’autre joue"


Qu’est-ce que cela signifie de tendre l’autre joue ? Beaucoup de Juifs pensent qu’il s’agit là d’une attitude typiquement chrétienne, certes plus observée en paroles qu’en actes. Le frère Yohanan Elihaï, l’un des pionniers de la communauté catholique hébréophone en Israël, a écrit une courte réflexion sur ce thème afin de montrer son enracinement dans les écrits du peuple juif.

L’autre joue

Les Israéliens ont tendance à citer l’expression « tendre l’autre joue » (Matthieu 5 :39) en affirmant qu’il s’agit là d’une idée typiquement chrétienne. La tendance est d’ajouter que ce n’est pas une bonne idée, puisque cette attitude encourage l’injustice et la violence. Bien plus, le judaïsme lutte pour la justice et contre le mal, c’est pourquoi, dit-on, nous ne pouvons accepter ce proverbe exagéré et dangereux.

Deux commentaires :

1. L’idée est déjà présente dans le TaNaKh (les Ecritures du peuple juif).

2. L’intention n’est pas d’encourager la violence ou l’apathie en face du mal.

Nous allons développer ces deux points.

1. Il y a au moins deux endroits dans le TaNaKh ou cette idée est présentée : Lamentations 3 : (27),30 (Il est bon pour un homme de porter le joug dans sa jeunesse) – « Qu’il tende sa joue à celui qui le frappe, et qu’il se laisse abreuver d’insultes ».

Dans l’édition Cassuto-Hartum du TaNaKh (une version comportant un simple commentaire en bas de la page, souvent offerte par les parents à l’occasion d’une bar mitsvah), on trouve pour ce verset le commentaire suivant : « "Qu’il tende la joue à celui qui le frappe" – qu’il présente sa joue à celui qui cherche à le frapper, c'est-à-dire qu’il n’offre pas de résistance. »

Dans cette note l’on trouve une référence à un verset similaire dans le Livre d’Isaïe, 50 :6. On y lit que le serviteur de Dieu est prêt à souffrir, et il dit : « Je ne me suis pas révolté, je n’ai pas reculé. J’ai offert mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas dérobé mon visage aux crachats, aux insultes. » C'est-à-dire : à ceux qui cherchaient à me frapper j’ai offert mon corps, mon dos, et à ceux qui cherchaient à arracher la barbe de mon visage, j’ai tendu mes joues.

2. Comment interpréter ces versets ? On peut trouver une clef en Matthieu 5 :39, que l’on traduit parfois : « Ne résistez pas au mal ». Le verbe dans le grec signifie « s’élever contre, s’opposer à » celui qui fait le mal (ce qui veut dire : agir de la même manière que lui, en usant des mêmes méthodes). Cependant une traduction plus correcte de ce verset (telle qu’on la trouve en hébreu et dans la NRSV) dit : « Mais moi je vous dis de ne pas résister (par la violence) à celui qui fait le mal ». La même idée apparaît dans les épîtres de l’apôtre Paul « Prenez garde que personne ne rende le mal pour le mal » (1 Thessaloniciens 5 :15).

Paul résume ceci magnifiquement dans l’épître aux Romains (12 :21) : « Ne te laisse pas vaincre par le mal. Sois au contraire vainqueur du mal par le bien ».

Il faut remarquer que Jésus, plus d’une fois, résiste au mal, aux mensonges, à l’injustice. Même lorsqu’il comparaît devant le Sanhedrin, il dit à celui qui le gifle : ‘Pourquoi me frappes-tu ?’ (Jean 18 :23). Il est clair qu’un acte injuste doit être corrigé. Cependant, Jésus répond par la bonté à celui qui fait le mal. De même, en une autre occasion, un groupe de personnes vient pour l’arrêter. Pierre brandit son épée et coupe l’oreille de l’un des membres du groupe. Jésus dit à Pierre : « Remets ton épée à sa place » (Matthieu 26 :52) et guérit l’homme (Luc 22 :51). On peut supposer l’effet de cet acte chez le serviteur guéri par Jésus, qui sans doute se souviendra toute se vie de l’exemple de Jésus.

Parfois la non-violence est victorieuse. En voici deux exemples, tirés de la vie :

Une femme, arrêtée et emprisonnée par les Nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale, fut torturée par l’officier responsable. Un jour, tandis que l’officier arrivait au "travail",elle l’entendit qui disait à son adjoint : « Ma fille est très malade, je suis inquiète. » Le jour suivant, lorsqu’il vint à la table de torture, elle lui demanda : « Comment va votre fille aujourd’hui ? Va-t-elle mieux ? » Il fut rempli d’émotion, lui répondit comme à une amie, et rentra chez lui sans la torturer.

Je me souviens également de ce qu’un ancien résident de Haïfa, connu pour être un défenseur de la non-violence, a raconté. Il relatait les évènements de l’année 1948 et raconta que dans ce contexte d’évènements violents cinq Arabes l’approchèrent. Ils s’emparèrent de lui et l’amenèrent jusqu’à un puits vide avec l’intention de l’assassiner en jetant son corps dans le puits. Ils marchèrent calmement ensemble, jusqu’au moment où ils atteignirent le puits. Alors il se tourna vers eux et dit : « OK, mes amis, faites votre besogne. » Ils se regardèrent les uns les autres et le quittèrent sans prononcer une parole.

Et si cela ne marche pas ? Bien sûr, le bien ne parvient pas toujours à neutraliser le mal. Mais au moins celui qui agit ne descend pas au niveau de son agresseur, ne devient pas comme lui, ne corrompt pas en lui-même l’image de Dieu. Cette victoire empêche le mal de s’étendre dans le monde et peut servir d’exemple aux autres.

Et que dire du verset « œil pour œil » ? Ce verset ne vise pas la violence ou le mal mais il signifie plutôt une compensation qui convienne au degré du dommage qui a été causé, et ne le dépasse pas. Mais ceci serait le sujet d’un autre article…

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