Interview avec le père David Neuhaus. SJ. Zénit


Le 8 juin, Zénit, une agence de presse catholique, a publié un interview avec le Père David Neuhaus SJ, Secrétaire général du Vicariat catholique hébréophone en Israël et responsable pour la communauté à Haifa. Nous publions ici le texte intégrale de l'interview.
Les catholiques hébréophones en Israël

Interview David NEUHAUS  pour Zénith

(Karna Swanson)
 JERUSALEM, le 8 juin 2008

Pour un catholique de langue hébraïque vivant en Israël, encourager les relations judéo-catholiques ne fait pas seulement partie de la vie de foi, c’est un mode de vie, affirme un prêtre israélien.

Le Père jésuite David Mark Neuhaus, d’origine juive, est secrétaire général du Vicariat catholique hébréophone en Israël et a la responsabilité pastorale de la communauté catholique d’expression hébraïque de Haïfa.

Dans cette interview accordée à Zénith, le Père Neuhaus évoque l’histoire, la mission et les défis propres à la communauté catholique hébréophone d’Israël.

Q. Sur votre site Internet, vous dites qu’être une communauté catholique d’expression hébraïque au sein d’une société majoritairement juive est une expérience nouvelle dans l’histoire de l’Eglise. Dans quelles circonstances est née l’Oeuvre St Jacques ?

Père Neuhaus. L’Oeuvre St Jacques, devenue le Vicariat catholique hébréophone, a été officiellement fondée sous l’égide du Patriarcat latin de Jérusalem, en 1955, peu après la création de l’Etat d’Israël. Elle était destinée à se mettre au service des milliers de catholiques qui avaient émigré en Israël, dont un bon nombre appartenaient à des familles mixtes judéo-catholiques et dont la plupart  venaient d’Europe.

L’Oeuvre St Jacques devait également constituer une présence catholique dans la société juive, afin de développer un nouveau type de relations entre catholiques et juifs. La réalité neuve d’un Etat juif ayant l’hébreu pour langue officielle rendait importante l’existence d’un milieu catholique parlant l’hébreu.

Les fondateurs de l’Oeuvre étaient pour la plupart des juifs devenus catholiques (surtout en Europe) et des catholiques (principalement originaires d’Europe) ayant pour vocation de vivre en solidarité avec le peuple juif dans l’Etat d’Israël. Nos fondateurs et fondatrices envisageaient une communauté catholique hébréophone vivant en phase avec le peuple juif en Israël et concrétisant sa foi par un dialogue et une solidarité profonde avec lui.

En 2003, le pape Jean Paul II a nommé le vicaire patriarcal des catholiques d’expression hébraïque, le Père bénédictin Jean-Baptiste Gourion, évêque auxiliaire au Patriarcat latin, ce qui a accentué la reconnaissance de cette réalité dans l’Eglise de Terre Sainte.

Q. Quelles perspectives nouvelles ouvrent les catholiques hébréophones en Terre Sainte ?

Père Neuhaus. Le catholique hébréophone vit au sein de la seule société juive au monde qui forme une majorité et dans laquelle la vie quotidienne est régie par la religion, l’histoire et la culture juive. La réflexion catholique universelle sur l’identité juive de Jésus et les racines juives de notre foi n’est pas seulement pour nous un élément du renouveau initié par le Concile Vatican II : elle fait partie intégrante de notre existence.

Ici, le dialogue avec le monde juif  s’adresse non pas à une minorité marginale mais à une majorité dominante. Nos efforts d’inculturation consistent notamment à intégrer cette rencontre quotidienne avec le judaïsme et les juifs dans notre identité, notre liturgie, notre pensée catholique.

Et nous nous trouvons précisément sur la terre qui est au cœur du récit biblique, la terre où l’Israël biblique, ses prophètes et notre Seigneur Jésus ont marché, enseigné, vécu.

Q. Il existe des communautés catholiques hébréophones dans les quatre plus grandes villes d’Israël. De quelle importance sont-elles ? Se développent-elles ? Quels sont les principaux obstacles qu’elles rencontrent ?

Père Neuhaus. Aujourd’hui, nous avons des communautés dans les quatre principales villes d’Israël : Jérusalem, Tel Aviv-Jaffa, BeerSheva et Haïfa, ainsi que des fidèles dans un certain nombre d’autres endroits. Notre communauté est très restreinte puisqu’elle ne compte que quelques centaines de membres mais, malgré notre petit nombre et notre faible rythme de croissance, nous formons une réalité très vivante et nos centres sont de véritables oasis de prière et d’amitié.

Cependant, nous nous heurtons aussi à de multiples problèmes. Si elles sont peu nombreuses, nos communautés présentent une grande diversité. En plus des Israéliens, nos fidèles viennent de bien des pays du monde (Russie, France, Pologne, Etats-Unis, Italie, Inde, etc.) Certains sont juifs, d’autres ne le sont pas. Certains sont israéliens, d’autres sont là depuis bien des années, d’autres encore viennent d’arriver. Certains parlent hébreu, d’autres non. Certains ont été baptisés à la naissance, d’autres plus tard dans la vie.

Nos prêtres sont pour la plupart originaires d’Europe et il leur faut bien des années pour apprendre la langue et la culture. Ceux de nos fidèles qui sont d’origine juive sont souvent des célibataires qui ont pris de courageuses décisions dans leur vie et nous arrivent sans famille. Un certain nombre d’entre eux sont en butte à l’opposition de leur milieu familial et de  la société en général en raison des options qu’ils ont prises et quelques uns choisissent  de vivre dans la plus grande discrétion et même le secret.

Il existe très peu de structures pour les catholiques hébréophones (écoles, services sociaux et culturels)  et les familles qui ont immigré en Israël ces dernières années  ( surtout en provenance de l’Union soviétique) sont nombreuses à décider de quitter Israël pour pouvoir élever leurs enfants dans la foi catholique.

Celles qui restent voient souvent leurs enfants se fondre dans une population juive sécularisée qui ne pratique aucune religion. Enfin, du fait de notre petit nombre, il nous faut exercer une vigilance constante pour construire nos communautés sans laisser la division ou le sectarisme s’y immiscer.

Q. Quels sont les catholiques qui vivent en Israël, en dehors des catholiques hébréophones ?

Père Neuhaus. Les catholiques hébréophones ne constituent qu’une petite partie de l’Eglise catholique en Israël. La plupart des catholiques sont de langue arabe : ce sont soit de citoyens arabes de nationalité israélienne, soit des catholiques arabes palestiniens dans les territoires palestiniens. 

Les catholiques romains, qui relèvent de la juridiction du Patriarche latin de Jérusalem, ne forment qu’une partie de la population catholique. La majorité des catholiques en Israël sont des grecs catholiques, mais il y a aussi des catholiques maronites, syriaques et arméniens.

Les relations entre les catholiques hébréophones et leurs frères et sœurs arabes sont complexes en raison de la situation politique délicate, mais l’unité de l’Eglise est sauvegardée par l’autorité ecclésiale qui témoigne des possibilités de réconciliation et de paix. A  BeerSheva et Haïfa où les tensions politiques sont moins vives, certains arabes catholiques fréquentent nos communautés.

Il est intéressant de noter qu’à l’heure actuelle, le vicaire patriarcal pour les communautés hébréophones , le Père Pierbattista Pizzaballa, est également Custode de Terre Sainte, à la tête de l’Ordre franciscain en Terre Sainte, et exerce aussi de grandes responsabilités au sein de la communauté arabe catholique.

L’actuel Patriarche latin, Sa Béatitude Michel Sabbah, est le premier patriarche latin de Jérusalem arabe palestinien, ce qui ne l’empêche pas de parler couramment hébreu. Personnellement, je suis secrétaire général du Vicariat et également professeur d’Ecriture sainte au Séminaire diocésain de langue arabe et à l’université catholique palestinienne de Bethléem.

Q. De quelles manières la communauté catholique hébréophone favorise-t-elle les liens avec la société juive israélienne ?

Père Neuhaus. Notre objectif ne consiste pas seulement à tisser des liens. Il consiste à vivre au sein de la société. Nous ne sommes pas une association en faveur de dialogue ; nous cherchons plutôt à offrir un service pastoral à nos fidèles. Nous nous efforçons toutefois de faciliter leur intégration dans la société juive israélienne.

Tout d’abord, nous parlons l’hébreu dans notre vie courante. En deuxième lieu, notre vie suit le rythme de la société juive israélienne. En outre, nous nous tenons au courant de tout ce qui concerne le dialogue judéo-chrétien et lui apportons notre propre contribution.

La société israélienne a encore, à l’égard de la chrétienté en général et de l’Eglise catholique en particulier, une attitude assez négative, partiellement due aux longs siècles  de relations mouvementées entre les juifs et les chrétiens en Europe. Nous considérons que l’un des aspects de notre tâche consiste à attirer l’attention de notre société en Israël sur les immenses changements apportés par l’Eglise dans ses rapports avec le peuple juif depuis Vatican II.

Q. Les catholiques hébréophones ont-ils réussi à s’intégrer pleinement à la société israélienne ? Par exemple, voit-on des catholiques engagés dans la vie politique, l’éducation, le monde des affaires ?

Père Neuhaus. Certains catholiques hébréophones  - les juifs israéliens devenus catholiques – sont totalement intégrés. De plus, quelques catholiques hébréophones arrivés de l’étranger ont réellement apporté leur contribution à la vie sociale israélienne par leur intégration au quotidien.

Tout d’abord, nos communautés sont utiles en ce sens qu’elles sont des lieux de vie et de prière dans une société aux prises avec la guerre. Notre vocation consiste, entre autres, à prier pour la paix et la justice.

Dans le domaine de l’éducation, plusieurs de nos membres les plus éminents ont enseigné dans des instituts israéliens. L’un de nos pères fondateurs, le Père dominicain Marcel Dubois, a dirigé le département de philosophie de l’université hébraïque de Jérusalem. D’autres membres de notre communauté enseignent la théologie, l’archéologie, l’histoire ou d’autres disciplines dans les universités israéliennes.

D’autres encore participent à la formation des chrétiens qui viennent en Israël étudier la théologie et la Bible ou le judaïsme. L’un de nos fondateurs, le Père Yohanan Elihaï, a apporté une importante contribution dans le domaine de la linguistique en rédigeant des dictionnaires et des manuels de langues qui facilitent les relations entre les personnes de langue hébraïque et arabe. L’université de Haïfa lui décernera le 4 juin le titre de docteur Honoris Causa pour ses travaux en linguistique.

Un autre de nos fondateurs, le Père Bruno Hussar, a créé une communauté appelée « Newe Shalom » («oasis de paix») dans laquelle juifs et arabes cohabitent. D’autres fidèles enfin sont pleinement engagés dans le combat pour la paix et la justice entre Israéliens et Palestiniens.

Chaque fidèle trouve sa place dans la société et ensemble, que nous soyons médecins, infirmières, enseignants, travailleurs sociaux, juristes, fonctionnaires, agents commerciaux ou retraités, étudiants, chômeurs, nous formons des communautés qui mènent une vie ordinaire que notre foi rend parfois extraordinaire. 
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